Chapitre 1
Maud Graham regardait la devanture de la pharmacie Jean Coutu depuis cinq minutes sans parvenir à se décider à y entrer. Elle avait repéré un étui à crayons qui semblait assez solide, remarqué un cahier vert, la couleur préférée de Maxime, mais elle hésitait encore à acheter les fournitures scolaires. Maxime ne lui reprocherait-il pas de lui rappeler que l’école commençait bientôt ? Et ne lui déclarerait-il pas qu’il était assez grand pour se charger tout seul de ces achats ? C’était sa phrase favorite, « je suis assez grand », alors qu’il était plutôt petit pour son âge. Il avait eu douze ans en juillet mais, à son grand dam, il en paraissait à peine onze.
— Tu es très mature pour ton âge, avait dit Maud Graham à Maxime qui se plaignait de sa petite taille pour la ixième fois. Et tu verras, tu pousseras d’un seul coup. Comme Alain.
— Alain ? Ton Alain ?
— Oui. Aujourd’hui, on ne peut pas imaginer qu’il a déjà été petit, mais c’est la vérité.
— C’est drôle quand il se penche pour t’embrasser.
— Drôle ?
— Il prend tout son temps pour se plier.
— Se plier… Tu exagères. Je ne suis pas une naine.
Elle se souvenait du sourire de Maxime tandis qu’il la taquinait, ce sourire joyeux qui permettait à Graham de croire que son protégé se sentait de mieux en mieux dans sa peau. Même si la cicatrice qu’il gardait à l’épaule lui causait certaines inquiétudes : s’il devait prendre sa douche à l’école, ses camarades la verraient, l’interrogeraient aussitôt. Que leur répondrait-il ?
— Je ne peux pas leur raconter que je me suis fait tirer dessus parce que mon père…
— Ton père a commis des erreurs, il a fréquenté du drôle de monde, mais il a payé cher. Il a failli mourir. L’important est que vous vous soyez bien remis aujourd’hui. Personne n’est obligé de connaître la vérité.
Elle était si heureuse d’avoir pu convaincre Bruno Desrosiers de lui confier Maxime durant la semaine, si soulagée que l’assistante sociale ne s’y soit pas opposée. Accueillir Maxime chez elle lui donnait le sentiment de vivre plus intensément. Il lui faisait découvrir son univers, lui offrait sa jeunesse, son entrain, sa curiosité, sa tendresse. Elle adorait cet adolescent !
— Tu expliqueras que ce sont les séquelles d’un accident de voiture. Ça se produit tous les jours, des accidents. On t’a cru, cet été, au chalet.
— C’est vrai.
— Personne ne découvrira ce qui t’est arrivé, Maxime. Tu changes d’école, de quartier, tu entres au secondaire. Et ton nom n’a jamais été cité dans les journaux. Il n’y a aucune raison pour qu’on apprenne le drame.
Avait-elle réussi à le rassurer ? Maud Graham espérait qu’aucun élève ne découvre le passé de Maxime, sa vie avant que Bruno Desrosiers consente à lui confier son fils. Les enfants sont si cruels, ils se moqueraient sûrement d’un fils de dealer, d’un repris de justice. Maxime était un garçon solide, mais aucun enfant ne peut être insulté, ridiculisé sans en être blessé. Il ne fallait pas qu’on l’attaque à nouveau, il avait assez souffert. Elle voulait l’entendre rire chaque jour, comme il l’avait fait au chalet d’Alain, deux semaines plus tôt. Le rêve… Alain enseignant à Maxime à nager, sous les encouragements d’un Grégoire qui prétendait que l’eau était trop froide pour qu’il plonge. Graham s’était retenue de lui dire qu’Alain pouvait aussi lui montrer à nager, à flotter, que ça pourrait lui servir un jour. Malgré la confiance que lui témoignait le jeune prostitué, elle demeurait prudente, connaissant trop bien sa susceptibilité ; il n’admettrait jamais devant Maxime, qui l’idolâtrait, qu’il avait peur du lac, peur de toute cette nappe d’un bleu noir prête à l’engloutir. Maud s’était contentée de préciser qu’elle avait appris à nager à dix-huit ans, quand elle avait sérieusement songé à faire carrière dans la police.
— T’avais mon âge ? s’était étonné Grégoire avant de s’empresser de changer de sujet, avant de déclarer qu’il leur préparerait les meilleures côtelettes de porc jamais mangées dans les environs.
— Tu nous attireras les voisins si ça sent trop bon.
— Oh non ! Pas les Baudoin ! Ils sont tellement pénibles.
— Ils sont gentils.
— Pas si sûr… Je ne les crois pas quand ils s’adressent à moi. Et ils ne me croient pas non plus.
— C’est normal, tu leur mens.
— Aimerais-tu mieux que je leur dise comment je gagne ma vie ?
Graham avait soupiré. Ils avaient déjà discuté de tout cela. Il était inutile d’émouvoir les voisins d’Alain qui avaient du mal à dormir s’ils regardaient un feuilleton trop violent à la télévision.
— Ils sont bizarres. Ils me posent des questions sur mon métier, alors qu’ils ne veulent surtout pas que je leur réponde franchement.
— On est toujours dans le mensonge, toi et moi, hein, Biscuit ?
— Souvent, avait corrigé Graham. Parfois, on n’a pas le choix.
Maxime ne l’aurait pas non plus, le jour de la rentrée scolaire. Il essaierait d’éviter les questions trop personnelles, mais il ne pourrait pas les éluder très longtemps. Il devrait raconter la fable qu’ils avaient mise au point durant leur séjour au chalet. Maud était sa marraine, sa mère vivait à l’étranger et son père enseignait la musique, la guitare sèche. Comme il devait aller au Saguenay pour donner des cours du mardi au vendredi, Maxime habitait chez Maud Graham durant la semaine.
— J’expliquerai que c’est plus pratique, car tu habites à quelques rues de l’école.
— Tu vois, ce n’est pas si compliqué, avait murmuré Grégoire en lui tapotant l’épaule.
Maxime avait aussitôt réagi en tentant de l’attraper par le cou. Ils avaient roulé sur la pelouse, en se débattant et en riant, insouciants.
Instants bénis d’innocence, se remémorait Maud Graham en renonçant à pousser la porte de la pharmacie. Elle proposerait plutôt à Maxime d’acheter ses fournitures scolaires avec Grégoire. Mais pas avant une semaine ou deux. Qu’il goûte, qu’il savoure le parfum de l’été le plus longtemps possible. Elle-même aurait voulu étirer ce mois d’août, empêcher les jours de raccourcir et croire que tous les vœux formulés lors des pluies de Perséides se réaliseraient ; Grégoire quitterait la rue pour toujours, Maxime se plairait à son nouveau collège, elle coincerait le salaud qui avait envoyé la petite Nancy à l’hôpital avec un bras et deux côtes cassés. Dans un monde idéal, Moreau cesserait de manger des chips devant elle, de lui en offrir pour la faire enrager. Alain avait beau lui répéter qu’elle n’avait qu’à l’ignorer, elle n’y parvenait pas et cet échec la contrariait. Ne pouvait-elle pas faire preuve de plus de maturité que Moreau ? Elle n’avait qu’une envie, lui arracher le sac de chips, le vider de son contenu et lui faire avaler le sachet. Qu’il s’étouffe, qu’elle soit enfin débarrassée de lui, de son sourire faux, de ses plaisanteries vulgaires. Elle se sentit coupable de ces pensées. Ou plutôt de ne pas se sentir coupable de les avoir ; elle aurait dû éprouver de la compassion pour Roger Moreau qui venait d’être victime d’un accident cardiaque. Oui, elle aurait dû le plaindre. Non, elle ne le ferait pas. Elle se rappelait ses paroles quand il avait appris qu’elle avait recueilli Maxime Desrosiers chez elle.
— T’aimes ça, hein, les chiens perdus, les pitous qui font pitié ? Pourquoi tu n’adoptes pas le père, tant qu’à y être ?
— Bruno Desrosiers est très bien là où il est.
— On pourrait gager un vingt qu’il retournera en dedans avant Noël.
Maud Graham croisa les doigts en se remémorant le geste de Moreau froissant un billet de banque, l’agitant au-dessus de sa tête. Et s’il avait raison ? Comment Maxime réagirait-il ?
Il fallait que Moreau ait tort.
* * *
Armand Marsolais sortit sur le balcon qui surplombait la rue, inspira profondément, soupira en apercevant la voiture grise de sa femme. Les pneus crissèrent dans l’entrée. Comment réussissait-elle à faire crisser des pneus dans cette entrée de béton ? Elle se stationnerait trop à droite et quand il voudrait enfourcher sa moto, il devrait d’abord déplacer le véhicule. Combien de fois avait-il prié Judith, depuis qu’ils avaient emménagé à Sillery, d’être plus attentive quand elle se garait ? Elle hochait la tête, mais continuait à se déporter sur la droite. Tous les jours depuis leur installation. Ce soir-là, il avait justement envie de se promener en moto. Il se rendrait à Tewkesberry. Non, il irait plutôt jusqu’à Montmagny. S’il empruntait la direction opposée, il aurait trop de mal à se raisonner et à renoncer à filer jusqu’à Montréal. Loin, loin, loin, mais encore trop près de Judith Pagé.
Il entendit la porte d’entrée claquer. Dans dix secondes, montre en main, sa femme l’appellerait. Il inspira de nouveau, se passa la main dans les cheveux. Il lui semblait qu’il en avait beaucoup perdu durant l’été. Serait-il chauve avant d’être libéré de Judith ? En rentrant dans leur chambre, il vit son image dans la grande glace près du lit. Il était encore bel homme pour avoir plu à Nadine, il était encore jeune. C’était maintenant qu’il devait profiter de la vie. À trente-cinq ans, pas à soixante-quinze ! Il essaya de sourire à son reflet, mais il ne réussit qu’à grimacer à l’idée de rejoindre son épouse. Il était prêt à parier qu’elle lui montrerait sa maudite liste de choses à emporter au lac à l’Épaule. Devait-il vraiment s’enterrer là-bas avec Judith pour toute une semaine ?
— Armand ? Armand ? Je suis rentrée.
L’homme descendit au rez-de-chaussée, foulant l’épais tapis de l’escalier en rêvant que sa femme fasse un faux pas, déboule toutes les marches et se brise le cou. Pendant qu’il serait au travail, bien sûr. Au poste avec ses collègues. Alibi garanti, impeccable, absolu. Mais c’était un fantasme…
— Armand ? Es-tu rentré ?
— Me voilà, ma chérie.
Armand Marsolais s’approcha de Judith, l’embrassa dans le cou, souleva une mèche de ses cheveux blonds.
— Tu les as éclaircis ? Et coupés. Ça te va à ravir.
— J’avais besoin de changement. Une nouvelle tête pour une nouvelle vie dans une nouvelle ville.
— Ton existence à Montréal te déplaisait à ce point ?
Judith Pagé protesta ; elle n’était pas malheureuse dans la métropole, mais elle préférait Québec et sa quiétude. Elle avait assisté à une rencontre d’enseignants dans la journée et pariait qu’elle apprécierait ses collègues.
— Parlant de travail, tu n’étais pas ici quand j’ai téléphoné cet après-midi. Je croyais que tu étais en congé de maladie.
— Je n’ai pas vraiment travaillé, aujourd’hui. Je ne suis allé qu’au Palais de justice. Je ne commence pas avant le deux septembre.
— Tu as plus de congés que moi.
— Tu appelles ça un congé ? Un poignet brisé, un genou en compote parce qu’un…
— Je sais, je sais, l’interrompit-elle avant de lui tourner le dos et d’ouvrir la porte du réfrigérateur.
Elle ne supportait pas d’entendre qu’il avait risqué sa vie pour sauver une adolescente.
— Il n’y a plus de jus d’orange ? reprit-elle. Tu devais en acheter ! Il faut que je pense à tout dans cette maison. Je l’ajoute sur la liste. As-tu écouté le bulletin de la météo ? Il fera beau toute la semaine. J’ai hâte d’être au chalet… Je n’aurais jamais dû accepter de le louer aux amis de Lorraine. J’aurais pu en profiter en juillet au lieu de me contenter du mois d’août. J’ai besoin de relaxer avant la rentrée des classes. Je devine ce qui m’attend, j’ai assez d’expérience dans l’enseignement. Ils sont pires chaque année.
— Tu pourrais te reposer à l’année, si tu le souhaitais…
— On ne ressassera pas cette idée. Je ne me sens pas l’âme d’une rentière, j’aime mieux enseigner.
— Pour te plaindre chaque soir que tes élèves sont des bons à rien ? Tu es masochiste, ma pauvre Judith.
— Et toi, tu es parfait, tu ne te lamentes jamais, je sais ça. Mais tu aimes tellement ton travail. Le danger t’excite…
Il nia, non, le danger ne l’excitait pas. Ce qui lui plaisait, dans une enquête, c’était l’enchaînement des faits, l’étrange logique qui avait amené le criminel à commettre son forfait. Il avait l’impression de dérouler un écheveau de laine, de tirer doucement sur le fil jusqu’à la découverte de la vérité. Ou d’aller à la pêche ; ce mouvement, au bout d’un fil, ce frémissement, et il savait qu’il tenait le coupable.
— Le danger te plaît, déclara Judith. Comme à tous tes amis flics.
— Tu exagères. Il y a plus de risques dans mon métier que dans le tien, mais…
— On vit aussi des situations compliquées. Les jeunes sont de plus en plus violents. Suzanne a reçu un coup de raquette en donnant son cours de gym, l’an dernier à Montréal. Elle a eu des points de suture. Tu ne te rends pas compte ! Heureusement, Québec est plus calme, je suis contente qu’on ait déménagé…
— On n’est pas aux États-Unis, tout de même !
Judith marmonna qu’ils avaient perdu assez de temps, qu’il fallait s’occuper des bagages s’ils voulaient partir tôt le lendemain matin.
Armand Marsolais faillit protester. Ne pouvaient-ils pas déjeuner tranquillement au lieu de se précipiter ? Le chalet n’était pas au bout du monde. La semaine serait déjà assez longue… Dieu qu’il avait hâte de rejoindre ses collègues au parc Victoria ! Dans moins d’un mois… Il songea à Moreau, confiné chez lui jusqu’en mars sur ordre du médecin : comment supportait-il ce congé forcé ? Il n’avait pas eu le loisir de le connaître vraiment, n’ayant travaillé qu’une quinzaine de jours avant d’être victime d’une agression, mais Moreau ne lui avait pas paru très patient. Il trouverait le temps long dès qu’il serait suffisamment rétabli. Peut-être aurait-il dû lui rendre visite à l’hôpital ? Tous les enquêteurs étaient probablement allés le voir. Non, sûrement pas Maud Graham. Marsolais avait vite compris qu’elle honnissait Moreau, elle n’essayait même pas de dissimuler son animosité. Qui était réciproque : Moreau l’avait prévenu que Graham était une emmerdeuse qui détestait les vrais hommes. Armand Marsolais avait failli répondre à son collègue qu’elle s’entendait très bien avec Rouaix et Trottier, mais il s’était tu ; inutile de contrarier son nouveau partenaire.
Quel accueil lui réserverait Maud Graham, le deux septembre ? Il ne s’en inquiétait pas vraiment, habitué à plaire aux femmes, quels que soient leur âge ou leur statut social. Et même s’il avait perdu plus de cheveux durant l’été, même si le déménagement imposé par Judith l’avait exaspéré, il saurait user de son charme pour se faire une alliée de l’enquêtrice. Il s’approcha du calendrier scotché sur le réfrigérateur, recomptant les jours qui le séparaient du retour au travail. Dix-sept. Plus que dix-sept jours avant d’avoir une bonne raison de s’absenter durant toute une journée. Judith ne vérifierait pas son horaire, ne saurait pas quand étaient ses congés. Il pourrait enfin retrouver Nadine !
Quand il lui avait parlé, dans l’après-midi, il avait senti qu’elle s’impatientait. Elle avait lâché qu’elle sortait le soir même avec un de ses ex. Elle avait certainement voulu le provoquer… Il n’avait pas relevé ses propos, mais il ne pourrait s’empêcher, durant la soirée, de se demander ce que faisait Nadine, à Montréal. Et avec qui. Traînait-elle sur une terrasse de la rue Saint-Denis ? Ou s’attablait-elle boulevard Saint-Laurent dans ce restaurant qui venait d’ouvrir et où elle voulait qu’il l’emmène ? Évidemment, elle était jeune et avait envie de s’amuser, il ne pouvait pas le lui interdire… Et il ne pouvait pas non plus quitter immédiatement Judith, renoncer à sa fortune. Quand celle-ci avait hérité de sa sœur Hélène, six ans plus tôt, il ignorait le montant exact de ses avoirs. Aujourd’hui, il savait que Judith valait dix millions de dollars. S’il divorçait, il devrait renoncer à hériter de toute cette fortune.
— Armand, as-tu vérifié les pneus ? Je ne voudrais pas qu’on ait des problèmes dans le bois.
Elle dissertait sur leur départ au chalet comme s’il s’agissait d’une expédition dans la jungle, alors qu’en moins d’une heure ils seraient rendus. Il se remémora les premiers temps de leur mariage, tandis qu’il tentait de la convaincre d’acheter des billets pour l’Australie ou Bali, de faire une croisière sur le Rhin ou de s’envoler tout simplement vers Paris. Elle répondait qu’elle y songerait et ils n’étaient pas allés plus loin que la Floride… Le condo d’Hélène était très vaste, richement décoré, mais on avait vite fait le tour de Fort Lauderdale, de ses restaurants et de ses terrains de golf où Judith rencontrait immanquablement quelqu’un pour évoquer sa sœur défunte, répéter à quel point elles se ressemblaient et combien Hélène leur manquait à tous. Il est vrai qu’elle était une formidable joueuse de golf, les nombreux trophées qui ornaient les murs de sa chambre à Westmount en témoignaient, mais c’était surtout ses extravagances qui plaisaient à ses voisins et amis. Hélène dépensait son argent sans compter et adorait voyager. Deux sœurs pouvaient-elles être différentes à ce point ? Judith n’aimait que la routine, Hélène savourait la fantaisie. L’une était fidèle, l’autre collectionnait les aventures, refusait de s’engager, affirmait que deux mariages lui avaient suffi, même enrichissants, que jamais plus elle ne vivrait avec un homme. Malgré tout son charme, Armand Marsolais avait vite compris qu’il n’avait aucune chance auprès d’Hélène. Il se souvenait de son attitude quand il s’était présenté chez elle, sept ans auparavant, pour constater un vol avec effraction. Elle l’avait examiné des pieds à la tête, ignorant son partenaire, s’approchant de lui, saisissant sa main pour l’entraîner près de la porte-fenêtre fracturée. Elle s’était plainte du système d’alarme qui n’avait pas fonctionné et juré qu’elle résilierait son contrat de surveillance avec la compagnie. Heureusement, elle était absente quand on avait pénétré chez elle ; que serait-il arrivé si les criminels l’avaient trouvée sur les lieux ? Si Hélène répétait qu’elle avait peur, son regard affirmait le contraire ; cette femme n’était pas bouleversée mais insultée qu’on ait osé s’en prendre à sa propriété, à ses biens. Armand avait promis que Descôteaux et lui mèneraient leur enquête avec le plus grand sérieux ; ils verraient tous les receleurs de Montréal et des environs. Ils étaient repartis après avoir bu un café délicieux, et Descôteaux avait taquiné son collègue sur l’effet qu’il avait produit sur Hélène Pagé. Armand avait protesté, mais il n’avait pas été surpris d’entendre la voix d’Hélène, le lendemain matin. Elle venait de se souvenir de quelques détails. Pouvait-il passer chez elle ?
Il y était allé. Il était resté plus longtemps que prévu. À l’aube, en se rhabillant, il était sans illusions : si Hélène Pagé s’était distraite avec lui, elle ne l’inviterait pas une seconde fois à lui rendre visite. C’était une consommatrice qui prenait et jetait, se désintéressant rapidement d’un objet convoité. Quand il l’avait revue, trois mois plus tard, pour lui remettre un des bijoux retrouvé, elle s’était montrée polie et lui avait offert un cappuccino en lui présentant sa jeune sœur, mais aucune chaleur ne dorait son regard. Armand avait refusé le café, se contentant de dire qu’il espérait revenir avec les autres bijoux. Descôteaux et lui étaient sur une bonne piste. Hélène avait bâillé, prétendu qu’elle avait oublié ces bijoux, alors qu’elle avait tant insisté plus tôt pour que ce soit des enquêteurs expérimentés qui soient chargés de son affaire.
— Ce sont tout de même des bijoux de valeur, avait protesté Judith, et…
— Tu t’inquiètes pour ton héritage ?
— Arrête, Hélène.
— Tu auras tout quand je mourrai, tous mes millions, et tu ne sauras même pas en profiter. Tu n’es pas du genre à t’amuser, toi. Ce n’est pas parce que je ne suis pas un bon exemple, pourtant…
Judith avait dû être embarrassée par cette attitude, car elle avait raccompagné le policier jusqu’à sa voiture. Dans la lumière du jour, Armand n’avait pas manqué de noter à quel point les deux sœurs étaient dissemblables. Hélène brûlait, Judith éteignait : tout en elle était fade, sans saveur, sans relief. Les cheveux, le teint, sa manière de rentrer les épaules, de croiser et décroiser les mains dans un mouvement nerveux, la robe beige qu’un camée trop discret ne parvenait pas à égayer, le ton de la voix mal assuré : Hélène et Judith étaient sûrement demi-sœurs.
Non. Armand l’avait appris deux semaines plus tard, après avoir pris Judith en filature plusieurs fois. Il devait se lier avec elle. La phrase d’Hélène s’était imprimée dans son esprit : Judith hériterait de sa fortune. Il avait suivi la jeune femme à son travail, au club de natation, à son cours de yoga avant de choisir à quel moment il devait croiser son chemin, quel lieu accréditerait le mieux le hasard de leur rencontre. Il s’était décidé pour l’arrêt d’autobus en face de la piscine. Elle l’avait reconnu immédiatement. Il lui avait tendu la main, enthousiaste, comme s’il retrouvait une amie perdue de vue depuis trop longtemps. Il avait raconté la fable qu’il avait préparée ; son automobile était en panne, il attendait l’autobus depuis quinze minutes.
— Je ne devrais pas me plaindre, avait fait Armand. Je récupérerai rapidement ma voiture. Travaillez-vous dans le coin ?
Judith l’avait détrompé, elle venait nager. Ah ? Il adorait la natation. Il avait hâte à l’été pour se baigner dans un lac. Ils avaient continué à discuter jusqu’à l’arrivée de l’autobus. Il était monté après elle, il l’avait écoutée, lui avait souri et, avant de descendre, un arrêt avant elle, il avait répété deux fois qu’il avait été heureux de leur rencontre.
Quand il l’avait croisée à la piscine, deux semaines plus tard, il ne s’était même pas donné la peine d’inventer quoi que ce soit pour justifier une nouvelle rencontre ; Judith était trop contente de le revoir pour se soucier du comment et du pourquoi. Il l’avait invitée à boire un café, mais avait refusé de l’accompagner au cinéma.
— J’enquête encore sur le vol commis chez votre sœur. C’est délicat, vous avez un lien avec elle… Si on l’apprenait…
— Je comprends, avait murmuré Judith.
— Non, vous ne comprenez pas. J’ai envie de vous revoir, seulement il faudrait patienter un peu. On va clore le dossier bientôt. Avec votre sœur, j’aimerais que vous restiez discrète sur nous… Si elle interprétait mal les choses, je…
— Hélène est en Floride jusqu’en décembre. Elle ne fait jamais rien comme tout le monde. C’est aux fêtes qu’on va au soleil. Elle, elle revient ici.
— Elle est fantaisiste, avait suggéré Armand.
Judith avait déclaré que son aînée se faisait toujours remarquer par ses excentricités.
— Si elle est absente, je pourrais accepter votre invitation. À condition d’être prudent. J’ai des collègues parfois obtus.
— Je sais ce que c’est. Je travaille avec certaines personnes à l’esprit borné.
Il y avait eu le cinéma. Puis le resto. Puis le théâtre. Puis une promenade à Rawdon. Ils avaient admiré les chutes. Armand avait serré Judith contre lui, mais ne l’avait pas embrassée. C’était elle, plus tard, tandis qu’il la ramenait à son appartement, qui s’était penchée vers lui en tendant son visage dans une attitude non équivoque. Il l’avait rappelée trente minutes plus tard pour s’excuser de ce baiser prolongé ; il n’aurait pas dû, il oubliait décidément qu’elle était la sœur d’une victime et… Judith l’avait interrompu ; sa sœur ne saurait jamais qu’ils se fréquentaient. D’ailleurs, n’avait-il pas compris qu’elles n’étaient pas très liées ? Hélène était une femme fantasque qui avait épousé deux hommes âgés par intérêt et qui jouissait maintenant de leur fortune sans éprouver aucun scrupule. Il avait pourtant insisté pour prendre un peu de recul. Il voulait réfléchir avant de s’engager. Il avait promis qu’ils se reverraient après les fêtes. Non, durant les fêtes. Il avait ajouté, juste avant de rompre la communication, que Judith pouvait lui téléphoner n’importe quand si elle avait besoin de lui.
Le 23 décembre suivant, Hélène Pagé était violée et assassinée dans un stationnement intérieur, au moment où elle rentrait de la Ronde. On lui avait volé son manteau de vison, sa montre et son sac à main. Les détectives qui enquêtaient sur ce meurtre avaient discuté avec Marsolais et Descôteaux, mais n’avaient établi aucun lien entre cette tragédie et l’effraction commise au domicile de la victime quelques mois plus tôt. Les journaux avaient parlé de crime sordide en cette veille de Noël.
Fin juillet, Judith épousait Armand pour le meilleur et pour le pire. Elle venait d’hériter d’une somme considérable, mais elle avait tenu à une cérémonie intime ; il eût été malvenu de célébrer des noces en grande pompe avec l’argent de la défunte.
Armand avait approuvé sa décision. Comme il avait accepté de signer un contrat de mariage qui protégeait au maximum les intérêts de Judith. S’ils divorçaient, il ne toucherait qu’une somme infime.
Il s’était contenté d’un voyage de noces dans Charlevoix et n’avait pas parié plus de cent dollars au casino du Manoir Richelieu. Il avait été soulagé de retourner travailler, mais n’avait pas encore saisi, à cette époque, à quel point il trouverait le temps long auprès de Judith. Il ignorait combien il lui serait pénible de l’entendre jacasser lors de leurs soirées en tête à tête, et quels efforts il devrait s’imposer pour s’en tenir à son plan initial. Dix ans. Il s’était donné dix ans pour disposer de la fortune de Judith. Sa femme n’était pas facile à manipuler, elle l’excluait des discussions avec son comptable. Il ne pouvait la voler comme il l’aurait souhaité. Il devait s’en débarrasser d’une façon définitive pour s’emparer de ses biens.
Six ans s’étaient écoulés, six ans de frustrations. Six ans à feindre l’affection, à rire avec les amis de Judith, à bricoler pour améliorer leur intérieur alors qu’il détestait ça, six ans à penser à une autre femme, n’importe quelle autre femme, quand il devait faire l’amour avec Judith. Non, à Judith. Elle se montrait si passive, prenait si peu d’initiatives qu’il se demandait pourquoi elle se rapprochait de lui certains soirs : avait-elle lu dans un de ces magazines idiots qu’il fallait jouir 1,3 fois par semaine ?
— Armand ! Les pneus ! Tu ne m’as pas répondu, cria Judith.
— Je les ai vérifiés, ma chérie, ne t’inquiète pas. Tout ira bien.
Résisterait-il à l’envie de l’entraîner au milieu du lac, de serrer ses mains autour de son cou, de l’étrangler ou de la noyer ? Il avait souvent repensé au tueur qu’il avait engagé pour violer et assassiner Hélène. Il l’avait assuré s’être bien amusé avec la dame, qu’elle l’avait supplié après l’avoir insulté. Lui ne goûterait jamais ce plaisir avec Judith ; il ne pouvait pas la tuer lui-même. Et il ne se décidait pas à employer la même méthode qu’avec Hélène pour être libéré de sa femme. On enquêterait avec beaucoup de sérieux si Judith périssait six ans après sa sœur dans des circonstances analogues. Et il ne pourrait peut-être pas engager un tueur professionnel aussi aisément que la première fois et l’abattre après qu’il eut accompli son contrat sans être inquiété. C’était tenter le diable… Mais il ne pouvait pas penser à autre chose qu’à la mort de Judith. Depuis que Nadine était entrée dans sa vie, il était obsédé par l’idée de jouir de la fortune de sa femme avec Nadine. Il était fait pour avoir de l’argent. Il en avait toujours voulu. Il se souvenait trop bien de son oncle qui avait gagné la maison Kinsmen. Si belle, si vaste, si différente des quatre pièces minables où il avait été élevé. Il s’était juré d’avoir une demeure semblable, un jour. Il y vivrait, il ne serait plus le petit neveu invité une fois par année à visiter un riche parent.
* * *
Maxime avait l’impression d’étouffer, mais il avançait d’un pas décidé vers la cour de l’école sans se retourner. Il était persuadé que Maud Graham le regardait s’éloigner, un sourire figé sur ses lèvres, ce sourire qu’il avait imité tout au long du déjeuner. Il avait réussi à manger ses céréales malgré sa gorge nouée. Il avait procédé à sa toilette rapidement, s’était habillé aussi vite, afin de démontrer son enthousiasme à Maud. Mais quand il avait vu le copieux petit-déjeuner qu’elle lui avait préparé, il avait failli lui avouer qu’il avait fait des cauchemars toute la nuit. Il avait néanmoins avalé ses céréales en souriant à Maud Graham qui lui répétait qu’il se ferait de nouveaux amis à l’école.
Un ami…
Serait-ce ce grand brun qui paraissait aussi perdu que lui ? Ou ce garçon encore plus roux que lui qui tournait la tête dans tous les sens ? Non, il était plus âgé, il devait être en deuxième ou troisième secondaire. Mais cet autre, avec des lunettes, qui fouillait dans son sac d’école depuis cinq minutes…
Maxime s’avança, serrant fortement la bretelle de son sac à dos. Il avait une tête d’idiot avec ses cheveux trop courts. Il se passa la main dans le cou, là où il aurait dû sentir ses cheveux, la retira, la glissa dans la poche de son pantalon. Il inspira lentement ; Maud lui avait conseillé d’inspirer s’il se sentait embarrassé ou angoissé. « Ça te donne le temps de réfléchir, de constater que la situation n’est pas aussi grave que tu l’imagines. »
— Salut. Je m’appelle Maxime. Je suis nouveau. On est plusieurs nouveaux au premier secondaire, hein ?
— Oui.
Le garçon relevait à peine la tête, comme s’il continuait à chercher une réponse au fond de son sac. Un beau sac en cuir qui valait très cher.
— Je m’appelle Maxime, répéta-t-il.
— Moi… moi… moi, c’est Pascal.
Ils s’observèrent en silence quelques secondes, clignant des yeux, indécis.
— Connais-tu d’autres élèves ici ? De ton ancienne école ?
Pascal baissa immédiatement la tête.
— Moi, j’habitais dans un autre quartier, fit Maxime. Mais maintenant je suis dans le coin. Toi, restes-tu loin d’ici ?
— Non, pas trop.
— J’espère que les profs ne nous donneront pas des milliers de devoirs. Surtout en français, je déteste le français.
— Moi, ce sont les mathématiques.
— En maths, je suis assez bon. C’est parce que je suis habitué de calculer. Je livre des journaux. Il ne faut pas que je me trompe quand je me fais payer. Je pourrai t’aider…
— Moi… je…
Des cris, des exclamations firent sursauter Maxime et Pascal. Le gros roux avait retrouvé un de ses amis.
— Oh non… gémit Pascal. Pas lui… Pas Benoit Fréchette.
Pascal se retourna brusquement en baissant de nouveau la tête.
— Tu le connais ? Le blond ou le roux ?
— Le blond. Il ne faut pas qu’il me voie.
Pascal s’éloignait, soucieux de ne pas attirer l’attention. Maxime le suivit. Il voulait en savoir plus sur ce Benoit Fréchette.
— C’est qui, ce gars-là ?
— C’est… c’est rien, bredouilla Pascal. As-tu vu Le seigneur des anneaux ?
— Oui, mais…
— J’ai aimé le film et le livre. J’ai la figurine de Frodon et j’ai économisé pendant trois mois pour l’acheter. À mon anniversaire, mes parents m’offriront celle de Legolas et celle du cavalier. Ça coûte au moins quarante dollars.
Pourquoi Pascal refusait-il de lui apprendre qui était ce Benoit ? Maxime faillit insister, mais il se souvint que Maud Graham prônait la patience pour obtenir des renseignements. Et la mise en confiance. « Il faut que les gens oublient que je suis dans la police et qu’ils discutent avec moi comme si j’étais leur voisine. » Elle lui confiait des tas de trucs sur son métier de détective. Il adorait ça. Il avait toujours cru qu’il serait musicien, il aimait jouer du saxophone. Mais il devait admettre que la guitare n’avait pas mené Bruno Desrosiers très loin, alors que Maud Graham tirait de grandes satisfactions de son travail. Même si elle râlait beaucoup. Grégoire lui avait très vite appris à ne pas la prendre au sérieux lorsqu’elle prétendait qu’elle allait prendre sa retraite et que tous les criminels pouvaient bien s’entretuer sans elle.
— J’ai vu le film et j’ai acheté la cassette, cet été. C’est mieux que Harry Potter, c’est moins bébé. Tu as lu le livre au complet ? C’est long…
— Non, pas tant que ça.
— T’aimes vraiment la lecture.
— Et les jeux vidéo. Je suis maniaque du Kart Racing et du Virtual Fighter 4.
— Moi, j’aime le Star Wars.
Ils commentèrent les divers jeux qui les passionnaient et furent tous deux surpris d’entendre la cloche sonner, indiquant le début des cours. Ils cessèrent de respirer, pincèrent les lèvres.
— Peut-être qu’on sera ensemble, murmura Maxime.
Des élèves qui se bousculaient les séparèrent et, quand Maxime regarda derrière lui pour chercher son nouvel ami, il constata que Benoit s’approchait de lui. Et que Pascal avait toujours la tête baissée ! Maxime ne pouvait l’interpeller sans alerter Benoit qui ne l’avait peut-être pas encore aperçu. Il tenta de se faufiler dans la foule d’élèves qui se pressaient vers l’entrée principale où les attendaient le directeur et les enseignants, mais le mouvement l’entraîna et il dut renoncer à prévenir Pascal. Il croisa les doigts, espérant que ce Benoit ne le remarque pas. Il était décidé à savoir pourquoi il effrayait tant Pascal.
Le discours de bienvenue du directeur fut bref, les professeurs procédèrent à l’appel. Maxime entendit son nom résonner dans toute la cour quand Judith Pagé, sa titulaire, le prononça. Il se sentit rougir en répondant « présent », mais il n’y eut aucun rire autour de lui. Il recommença à respirer, à se permettre de tourner la tête vers les élèves qu’on appelait. « Pascal Dumont. » Était-ce son copain ? Il y eut un silence. Judith Pagé répéta « Pascal Dumont » et Maxime reconnut la voix de ce dernier lorsqu’il réussit à répondre. Il y eut aussitôt des exclamations moqueuses. À qui étaient-elles destinées ? Puis il sentit qu’on lui tapait sur l’épaule. Il sourit, crut que Pascal l’avait rejoint, qu’il avait imaginé ces ricanements, mais c’était une inconnue qui lui souriait et qui changea d’expression dès qu’il lui fit face.
— Excuse-moi, je t’ai pris pour quelqu’un d’autre.
— Ce n’est pas grave. Es-tu dans la classe de Judith Pagé ?
La fille soupira.
— Oui, il paraît qu’elle est sévère, qu’elle est mariée à un policier.
— Un policier ?
— C’est Justine qui l’a entendue discuter avec un autre prof. Elle nous enseigne le français. Si on est chanceux, on aura Germain en maths. Il est correct. Ma sœur l’a eu, il y a deux ans.
— C’est utile d’avoir une sœur qui peut te renseigner sur les profs.
— Oui. Moi, c’est Véronique.
— Moi, c’est Maxime.
— Il y a déjà deux autres Maxime dans la classe. Mais ce n’est pas grave, tu ne leur ressembles pas.
— Tu les connais ?
— J’étais dans la même école qu’eux au primaire. Il y en a un qui joue au hockey. Salut, Marilou ! Es-tu dans la classe de Judith ?
Véronique se frayait un chemin jusqu’à la copine retrouvée, l’étreignait en riant. Maxime lui envia son plaisir. Qui, parmi tous ces étrangers, deviendrait son ami ? Peut-être ce Maxime qui aimait le hockey ? Et s’il avait besoin d’un joueur dans son équipe ? Il ne le disait pas à Maud, mais il s’ennuyait de son ancien quartier, de la ruelle où il exerçait ses lancers. Il croisait ses amis les fins de semaine, mais il aurait aimé les voir plus souvent. Au moins, il avait pu retrouver son emploi de camelot pour Le Soleil. Il commencerait à livrer les journaux dès le dix septembre. Il aurait peut-être de bons clients comme Mme Dubois de la rue de la Reine qui le gratifiait toujours d’un bon pourboire au début du mois. Il pourrait s’acheter la figurine de Gandalf. Est-ce que Pascal avait vraiment lu Le seigneur des anneaux au complet ? S’assoirait-il à côté de lui dans la classe ?
Non. Judith Pagé ordonna aux élèves de s’installer en ordre alphabétique. Maxime dut s’asseoir entre deux inconnus qui parurent aussi déçus que lui d’être coincés au premier rang. Bédard, Blanchette, Couturier, Desrosiers, Dubé. Il n’avait plus qu’à toucher du bois, prier pour qu’un élève du fond se plaigne de ne pas distinguer le tableau et que Judith lui demande de lui céder sa place. Mais quel élève serait assez fou pour se rapprocher volontairement du professeur ? Judith Pagé n’avait pas souri une seule fois depuis qu’elle était entrée dans la classe. Si son mari était policier, Maud devait l’avoir déjà rencontré. Répéterait-il ce qu’il savait à sa femme ? Maxime soupira ; c’était bien sa chance d’avoir hérité de Judith Pagé comme titulaire. Il s’efforcerait de ne jamais attirer son attention…